Secteur protégé Monégasque : La difficile conciliation entre intérêts sociaux et respect du droit de la propriété

 

 

A Monaco, le secteur protégé comprend la plupart des appartements situés dans des immeubles « anciens » construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 et soumis depuis l’après-guerre à une réglementation destinée à protéger les droits des locataires : la loi n°1235 du 28 décembre 2000, modifiée par la loi n°1291 du 21 décembre 2004.
 

Ce texte a une vocation sociale, destiné à permettre aux Monégasques comme aux Enfants du Pays, de trouver un logement en Principauté. Il impose notamment aux propriétaires concernés de déclarer leurs biens vacants et de les offrir à la location. Le choix du locataire est organisé en faveur de ces personnes protégées dans l’ordre de priorité fixé par la loi. Le montant des loyers ainsi que les conditions de renouvellement du bail et d’exercice par le propriétaire, de son droit de reprise, sont également encadrées par la loi. Les locataires bénéficient de prix bien plus avantageux que s’ils louaient des logements du secteur libre.

 

En dépit des restrictions apportées par cette loi à l’exercice du droit de propriété, les propriétaires ne perçoivent aucune indemnisation en contrepartie (à l’exception de propriétaires  de biens achetés avant 2004, d’une surface maximale cumulée de 300 m2 et en état jugé correct, qui peuvent avoir droit à une allocation compensatoire versée par l’État monégasque en vertu de la loi n°1.507 du 5 juillet 2021, sous réserve que ceux-ci affectent leur bien, ainsi que l’ensemble de leurs autres biens sous loi, à la location).

 

Pourtant, l’article 24 de la Constitution monégasque édicte que « la propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi ».

 

Selon une étude de l’IMSEE parue en 2013, il apparaît que 2.500 appartements anciens font partie de ce secteur mais, par sa nature, ce parc immobilier diminue au fil du temps et au gré des promotions immobilières.

 

C’est pourquoi, afin d’endiguer la disparition programmée de ce secteur protégé et permettre aux « personnes protégées » de pouvoir continuer à résider à Monaco, la loi n°1235 a, de nouveau, été modifiée par la Loi n°1.508 du 2 août 2021 relative à la sauvegarde et à la reconstruction des locaux à usage d’habitation relevant des dispositions de la Loi n°1.235 du 28 décembre 2000, relative aux conditions de location de certains locaux à usage d’habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947, modifiée.

 

Cette loi redéfinit les personnes protégées au titre de la Loi n°1.235, donne la possibilité au locataire d’affecter partiellement un local d’habitation, soumis à cette même loi, à l’exercice d’une activité commerciale et établit deux régimes de relogement du locataire évincé, l’un à la charge de l’État en présence de travaux de démolition intégrale, l’autre à la charge du propriétaire en présence de travaux autres que ceux de démolition intégrale.

 

Ses objectifs étaient également d’assurer la transformation et le renouvellement du secteur protégé pour permettre aux personnes concernées de vivre dans des immeubles plus confortables, ainsi que de libérer, à terme, le propriétaire des contraintes inhérentes à la loi n°1.235, en faisant jouer le rôle social à l’Etat ; l’enjeu de cette loi étant alors de concilier les intérêts sociaux et les intérêts économiques.

 

Cependant, les dispositions qui constituaient l’essence même de cette loi et permettaient de tendre vers les objectifs, précisés ci-dessus, ont été annulées le 12 juillet 2022 par décision du Tribunal Suprême de Monaco, à la demande de propriétaires monégasques et de l’Association des propriétaires de Monaco.

 

Que prévoyait la loi ?

L’article 8, qui aurait été le nouvel article 39-1 de la Loi n°1.235, conditionnait les autorisations de démolir et de reconstruire un ou plusieurs locaux à usage d’habitation soumis aux dispositions de la Loi n°1.235, sans préjudice du respect des prescriptions législatives et réglementaires relatives à l’urbanisme, à la construction et à la voirie.

 

Ainsi, le projet de construction devait obligatoirement prévoir la construction de locaux d’habitation venant se substituer à ceux qui relèvent de la loi et qui auraient été détruits, soit dans un même bâtiment, soit dans plusieurs bâtiments.

 

Un étage spécifique devait être affecté aux locaux d’habitation de substitution au sein de l’immeuble reconstruit. Et, lorsque la surface intérieure des locaux d’habitation de cet étage spécifique était inférieure à la surface intérieure des locaux d’habitation relevant de la Loi n°1235 qui auraient été détruits, le projet de construction devait prévoir l’affectation d’un second étage spécifique. Les étages spécifiques étaient exclusivement composés de locaux de substitution. La loi déterminait elle-même de manière précise la localisation des étages spécifiques au sein de l’immeuble à bâtir. Le premier étage spécifique devait être situé à l’étage médian de l’immeuble à bâtir. En outre, un emplacement de stationnement automobile et une cave devaient être rattachés à chaque local d’habitation de substitution.

 

L’article 8 imposait ensuite la cession à l’Etat, lors de l’achèvement des travaux, des locaux d’habitation de substitution ainsi que des locaux accessoires et dépendances qui devaient être rattachés à chaque local d’habitation de substitution. Les modalités et le prix de cession de l’ensemble de ces locaux et de leurs dépendances étaient fixés par l’accord commun du propriétaire et du Ministre d’Etat, la loi précisant toutefois que le prix était calculé en prenant comme base le coût de construction, dont les éléments auraient été déterminés par arrêté ministériel.

 

Par ailleurs, cet article 8 permettait qu’à la demande du propriétaire et avec l’accord de l’Etat, le projet de construction ne prévoie pas la construction de locaux d’habitation de substitution au sein de l’immeuble reconstruit. Dans ce cas, le propriétaire devait procéder, au choix de l’Etat :

  • soit, en compensation, à la dation de locaux existants, construits et achevés après le 1er septembre 1947, non régis par la Loi n°1235, et présentant des surfaces et qualités équivalentes aux locaux de substitution qui auraient dû être construits au sein du ou des étages objets de l’affectation spécifique précitée (critères et modalités d’appréciation de l’équivalence fixés par arrêté ministériel),
     
  • soit à l’affectation, au sein d’un immeuble objet d’une autre demande d’autorisation de démolir et de construire déposée concomitamment, d’un ou deux étages spécifiques d’une surface égale ou supérieure à celle des locaux de substitution qui auraient dû être construits.
     

Les compensations octroyées en contrepartie des locaux de substitution ou de compensation cédés à l’État étaient de deux sortes :

  • octroi de plein droit par l’État, en contrepartie de l’affectation spécifique ou de la dation, d’une majoration du volume constructible, dont l’étendue varie selon que la construction d’un seul étage est ou non suffisante pour permettre la restitution de l’ensemble des surfaces intérieures des locaux relevant du secteur protégé qui seront détruits ;
     
  • paiement par l’État, à l’issue d’une négociation avec le propriétaire, d’un prix de cession des locaux de compensation, ainsi que des locaux de substitution et de leurs accessoires et dépendances (emplacements de stationnement automobile et caves), calculé en prenant comme base le coût de la construction.


Enfin, l’article 8 prévoyait que ses dispositions n’étaient pas applicables aux demandes d’autorisation de démolir et de construire pour lesquelles la majoration du volume constructible ne pouvait être octroyée en raison d’une impossibilité technique ou juridique. En particulier, ses dispositions ne s’appliquaient pas, d’une part, aux bâtiments « remarquables » au sens du Règlement d’urbanisme et à ceux situés dans le secteur réservé.

 

Certaines dispositions de la Loi n°1.508 avaient pour objectif d’obliger les promoteurs, en plus de leur opération immobilière, de construire autant de surfaces relevant du secteur protégé que celles détruites vendues à l’Etat au prix de la construction. Cette loi reposait sur un principe équitable financièrement puisqu’en contrepartie, les promoteurs auraient bénéficié de surfaces supplémentaires octroyées par dérogation, situées à des étages plus élevés et donc mieux valorisés Mais c’était sans compter sur l’atteinte au droit de propriété…

 

La décision du Tribunal Suprême

Le Tribunal Suprême a annulé, pour atteinte excessive au droit de propriété, l’article 1er et l’article 8 de la Loi n°1.508 (conditionnant la délivrance des autorisations de démolir et de reconstruire lorsque les locaux à usage d’habitation dans le secteur protégé font l’objet de démolition intégrale). Il a, en outre, abrogé partiellement les articles 3 et 10, liés à l’article 8.

 

Avant d’exposer ses motivations, il convient de préciser que les trois autres volets de la loi ne sont pas remis en cause (redéfinition des personnes protégées, possibilité pour le locataire d’affecter partiellement un local d’habitation, soumis à la Loi n°1.235, à l’exercice d’une activité commerciale, régimes de relogement du locataire évincé, l’un à la charge de l’État, l’autre à la charge du propriétaire, selon que l’immeuble est démoli intégralement ou pas) et sont donc applicables.

 

Les juges ont en effet estimé que le choix du législateur d’étendre le bénéfice du secteur protégé aux Enfants du Pays n’est pas contraire à la Constitution, le secteur protégé trouvant sa légitimité du fait des exigences constitutionnelles qui résultent des caractères géographiques particuliers du territoire de la Principauté et la priorité accordée par la Constitution aux Monégasques.

 

Le Tribunal Suprême a admis que le législateur poursuivait des objectifs d’intérêt général en cherchant à faire obstacle à la disparition progressive des locaux régis par la Loi du 28 décembre 2000 par l’effet des promotions immobilières, tels qu’ils sont décrits plus haut, et en permettant aussi longtemps que nécessaire aux Monégasques et aux Enfants du Pays de se loger à Monaco.

 

Le Tribunal a reconnu également que l’octroi d’une majoration de volume constructible permet au propriétaire de bénéficier d’une surface supplémentaire identique à celle cédée qui ne sera pas soumise aux dispositions de la Loi n°1.235. La valeur vénale et la valeur locative sont ainsi supérieures à celles des locaux détruits et des locaux cédés qui sont soumis au régime prévu par la loi du 28 décembre 2000, d’autant qu’il s’agit nécessairement d’étages plus élevés.

Il y a alors lieu de considérer que cette cession représentait une compensation raisonnable pour le propriétaire.

 

Mais c’est en examinant les conséquences financières du mécanisme prévu qu’il a jugé que l’article 8 portait une atteinte excessive au droit de propriété, et ce pour cinq raisons :

  1. les propriétaires doivent céder à l’Etat des locaux accessoires et dépendances (emplacement de stationnement automobile et cave) rattachés à chaque local d’habitation de substitution. Même si cette cession s’établit à titre onéreux, la loi ne prévoit pas de compensation en volume pour ces locaux et dépendances, ce qui remet en cause la disponibilité d’une partie de ces biens pour le ou les propriétaires de l’immeuble ;
     
  2. en conditionnant la démolition et la reconstruction des immeubles qui comprennent des locaux d’habitation régis par la Loi n°1.325 au respect de ses dispositions, cela entraîne, dans le cas d’une copropriété, la restriction de l’exercice du droit de propriété non seulement des propriétaires de locaux d’habitation relevant de ladite Loi, mais également des propriétaires de locaux d’habitation qui ne sont pas régis par cette loi ;
     
  3. rien ne garantit que la localisation des étages spécifiques et la majoration de volume constructible n’aient pas d’incidence négative sur la situation et la valeur vénale des appartements des propriétaires de locaux d’habitation ne relevant pas de la Loi n°1.235;
     
  4. le droit de démolir et de reconstruire son bien est conditionné, pour le ou les propriétaires concernés, à l’obligation d’entrer en copropriété avec l’Etat pour une durée indéterminée, ce qui porte une atteinte excessive au droit de propriété selon les juges ;
     
  5. le Tribunal a jugé que l’Etat et le Conseil National pouvaient parvenir aux objectifs qu’ils entendaient poursuivre en matière de logement par d’autres moyens plus respectueux du libre exercice du droit de propriété, protégé par la Constitution monégasque.

 

Lorsqu’il rend ses décisions, le Tribunal Suprême veille à ce que les atteintes au droit de propriété soient proportionnées et ne requièrent pas de la part des propriétaires des sacrifices excessifs au regard de l’intérêt général recherché. Il n’a pas jugé, en rendant sa décision le 12 juillet 2022, que la Loi n°1.508 du 2 août 2021, respectait l’équilibre entre l’intérêt général et le respect des libertés constitutionnelles des particuliers, en l’occurrence celui des propriétaires.

Suite à cette décision, un nouveau texte de loi devrait être déposé sur le bureau du Conseil National afin de continuer à préserver les logements du secteur protégé.

 

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